OSTOS – Collectif d'ostéopathes

ostéopathie

La manipulation vertébrale

Introduction

Un des outils courants de l’ostéopathe est la manipulation vertébrale à « Haute Vélocité et Basse Amplitude » (HVBA). Elle a été longtemps pratiquée par une grande variété de cliniciens y compris les physiothérapeutes et les chiropracteurs.

Pour reprendre la définition de l’American Association of Osteopathy (AAO, What is Ostéopathie Medecine?), il s’agit d’une technique ostéopathique employant une impulsion rapide et thérapeutique d’une durée brève qui parcourt une courte distance dans la plage de mouvement d’une articulation et qui engage une barrière restrictive dans un ou plusieurs plans de mouvement pour déclencher la libération de la restriction et qui souvent, émet un bruit articulaire que l’on associe à la réussite de la technique.

Toutefois, l’Homme a beau savoir pratiquer ces techniques depuis plus de 2 000 ans (Curtis & al., 1988), il ne semble toujours pas comprendre totalement son fonctionnement.

Il a longtemps été pensé que, par le biais des manipulations HVBA, le praticien, qu’il fut ostéopathe ou autre, « replaçait les os ». Ceci nous a même valu, chez les Anglo-Saxons, la réputation de « bonesetter » (AHCPR, 1994), littéralement « replaceur d’os ». Il existe aujourd’hui autant de modes d’actions des manipulations HVBA qu’il n’existe de praticiens. Beaucoup de théories ont été explorées, certaines retenues, d’autres abandonnées.

Entre vues de l’esprit et faits avérés, nombre de théories sur les effets d’une manipulation vertébrale semblent se confronter. Comment se fait-il que cet outil qui, pour reprendre les termes de Roger Caporossi, « ne représente que 10% de la formation d’un ostéopathe », demeure toujours aussi méconnu?

Ces dernières années la recherche s’est intéressée aux différentes actions d’une manipulation vertébrale, aussi bien d’un point de vue biomécanique que physiologique.

A travers cet article, je souhaiterais faire le point sur les différentes hypothèses d’action des manipulations vertébrales.

Les effets biomécaniques

D’un point de vue biomécanique, la recherche semble avoir étudié quatre grandes hypothèses des modes d’action d’une manipulation vertébrale (Pickar & al., 2002/Ewans & al., 2002) :

  1. La libération de méniscoïdes intervertébraux (plis synoviaux) « piégés ».
  2. La relaxation de muscles hypertoniques par étirement brusque.
  3. La perturbation d’adhérences articulaires ou péri-articulaires.
  4. Le déverrouillage de segments vertébraux ayant subi des déplacements démesurés.

La libération des méniscoïdes intervertébraux

Les méniscoïdes sont des franges synoviales contenant des terminaisons nerveuses principalement nociceptives. Elles sont présentes dans les articulations à différents endroits de la colonne vertébrale entre les bords des cartilages articulaires, avec pour rôle d’absorber les contraintes mécaniques liées à la pesanteur. En temps normal, elle n’empêche pas le mouvement de glissement des surfaces articulaires. D’après Kos & Wolf (1972) un blocage brusque survient au moment où « le ménisque assume une position entre les surfaces cartilagineuses dans laquelle il peut être serré, entraînant des phénomènes douloureux. Son retour à la position normale est alors rendu impossible ». Bodguk & Jull (1985) proposent une explication plus poussée de ce mécanisme en argumentant que lors d’un mouvement de flexion de la colonne lombaire, les zygapophyses inférieurs se déplaçant vers le haut entrainent avec eux un méniscoïde, qui, lors du retour en extension à la position neutre, se heurte à la capsule articulaire et entrave le mouvement. La présence de ces méniscoïdes au niveau cervical suggérerait qu’un tel phénomène pourrait apparaître mais cette fois-ci en rotation excessive.

Une manipulation vertébrale à l’origine d’une béance des zygapophyses, réduirait cette impaction et ouvrirait l’articulation encourageant le ménisque à retrouver sa position anatomique dans la cavité articulaire. Ceci arrêterait la distension de la capsule réduisant ainsi la douleur.

La relaxation des muscles hypertoniques par étirement brusque

Il a déjà été démontré qu’à la suite d’une manipulation HVBA, survenait une diminution de l’activité electromyographique paraspinale. Il a longtemps été pensé que l’étirement brusque d’un muscle hypertonique d’un étage vertébral engendré par une manipulation HVBA, entrainait un relâchement de celui-ci. Toutefois, lorsque cette technique est bien réalisée, l’essentiel de la force induite est transmise et dissipée au liquide synovial et non pas aux tissus mous environnants. De plus, il a également été observé qu’il existe une synergie entre la capsule articulaire et les tissus mous environnants et qu’une excitation de la première (i.e. par un étirement) entrainait une excitation des seconds et non pas une relaxation.

Une explication plus probable du comportement de ce «muscle hypertonique» serait que son innervation est temporisée par des interneurones spinaux sensibilisés (Ewans & al., 2002).

La perturbation d’adhérences articulaires ou péri-articulaires

Chaque articulation possède une plage de mouvement qu’on dit « physiologique ». Lorsqu’un praticien réalise une manipulation HVBA, il met en tension l’articulation jusqu’à sa « barrière articulaire », une fois qu’il réalise son impulsion, l’essentiel de la force est transmise au liquide synovial.

Il arrive que cette plage de mouvement soit altérée, et réduise le degré de liberté d’une articulation. En dehors des causes musculo-ligamentaires, nous pourrions expliquer cela par les méniscoïdes entravés cités plus haut, toutefois, ceux-ci causeraient une douleur, or, toute articulation restreinte n’est pas forcément douloureuse. Ce blocage pourrait être expliqué par des adhérences intra-articulaires maintenues par des effets de pression.

Dans certains cas, il est possible d’observer des phénomènes de fibrose intra-articulaire qui peuvent survenir suite à une lésion d’une articulation zygapophysaire créant des restrictions de mobilité, et une manipulation serait alors bénéfique, du moins à court terme (Ewans & al., 2002).

Le déverrouillage de segments vertébraux ayant subi des déplacements démesurés

Probablement la plus ancienne théorie concernant le mode d’action des manipulations vertébrales, les thérapeutes manuels ont longtemps pensé que lors d’une technique HVBA ils « replaçaient » les segments vertébraux « désalignés/subluxés » ou qu’ils « replaçaient » des fragments de nucleus pulposus. Le fameux bruit de « crack » qui survient après ce genre de manipulation les a confortés dans ce raisonnement et c’est peut-être ce qui nous a valus la réputation de « bonesetter« .

Des études en biomécanique ont prouvé que cette théorie « positionnelle » est fausse. Il en est de même pour le replacement de fragments de nucleus pulposus. Si la manipulation vertébrale agissait bel et bien sur le nucleus pulposus, comment expliquer que nous réussissions à faire « craquer » d’autres articulations du corps, là ou il n’y a pas de disque intervertébral et de nucleus pulposus? De plus, malgré quelques constatations bénéfiques, la manipulation vertébrale est généralement déconseillée en cas d’hernie discale, ne nous confortant pas dans cette théorie. Enfin, Ewans & al. soutiennent que pour agir sur le nucleus pulposus, il serait plus pertinent de réaliser des techniques lentes & progressives du fait de constitution liquide.


Les effets physiologiques

Les changements biomécaniques engendrés par une manipulation vertébrale sont considérés comme responsables de changements neurophysiologiques en agissant sur des récepteurs nociceptifs et proprioceptifs du système nerveux. Ceci permettrait d’expliquer les bénéfices antalgiques d’une technique HVBA correctement réalisée sur un segment vertébral.

Aussi, on considère que la surcharge engendrée par l’impulsion de la manipulation vertébrale serait à l’origine d’une modification, mécanique ou chimique, des propriétés de signalement des neurones dans les tissus paraspinaux, soit en agissant sur un arc réflexe, soit en agissant sur l’intégration neurone centrale. Quoiqu’il en soit, ces changements devraient avoir des répercussion somatomotrices et viscéromotrices (Pickar & al., 2002).

Action sur les muscles paravertébraux

La manipulation vertébrale aurait un effet sur le mécanisme d’inhibition réciproque, rendrait moins excitables les motoneurones pendant un certain laps de temps et réduirait l’amplitude du potentiel d’action de l’unité motrice des muscles paravertébraux via l’étirement des capsules articulaires postérieures.

Action sur la douleur

La manipulation vertébrale peut affecter le ressenti de la douleur, possiblement en altérant la facilitation centrale de la moelle épinière.

Action sur la circulation sanguine

Malgré le fait qu’on parle de la troisième vertébre lombaire comme la vertèbre de la vasomotion des membres inférieurs (du fait que de la bifurcation de l’aorte abdominale se fait en projection de cet étage vertébral), il ne semble exister aucune preuve qu’une manipulation vertébrale ait un effet sur le flux sanguin.

Action sur les marqueurs biochimiques

La manipulation vertébrale semble pouvoir augmenter la concentration de la substance-P (régulation des fonctions autonomes et physiologiques telles que nociception et transmission de la douleur, respiration, thermorégulation et contrôle cardio-vasculaire), de la neurotensine (impliquée dans la thermorégulation), d’ocytocine et d’interleukines (Kovanur Sampath & al., 2017). Aussi, pourrait-on penser que la manipulation vertébrale pourrait avoir une action sur les phénomènes de thermorégulation.


Conclusion

S’il est compliqué aujourd’hui de comprendre tous les effets engendrés par une manipulation vertébrale c’est du fait de la faible puissance statistique des écrits (Vautravers, 2009). Il existe de nombreuses hypothèses mais trop peu de preuves. Cliniquement, nous savons que la manipulation vertébrale possède des vertus antalgiques mais les mécanismes sous-jacents à ces effets demeurent encore à l’étude à ce jour. Il est également important de souligner les effets placebo et psychologique que peut avoir une telle manipulation, au point où certains patient ne jurent plus que par le « crack » !

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